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Témoignage de Jean-Louis Daumas

Dernière mise à jour : 9 avr.

Ancien Directeur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), inspecteur général de la justice, vice-président de notre association, Jean-Louis Daumas s'exprime sur l'évolution de la justice des mineurs, la détention et les bénéfices des marches SEUIL pour les jeunes incarcérés.


Un peu d’histoire

En 1943, le Conseil National de la Résistance (CNR) siège au côté du Général de Gaulle, à Londres puis à Alger, et à la Libération, donne naissance à la Sécurité Sociale et à un certain nombre d’institutions importantes. Les membres du CNR qui sont des résistants de différentes sensibilités (chrétiens, gaullistes, communistes, …) anticipent que lorsque le territoire national sera libéré, ils seront confrontés à une population errante d’adolescents, sans parents, souvent sans père, pour les raisons qu’on sait. C’est exactement ce qui se passe. En 1945, les pouvoirs publics sont confrontés à des cohortes d’adolescents, livrés à eux-mêmes, sans repères parentaux et en grande difficulté. Par ordonnance, on crée l’Education Surveillée qui existait avant la guerre mais n’était qu’une sous-direction de l’administration pénitentiaire. Avant 1945, on avait une conception extrêmement répressive de l’éducation des adolescents auteurs d’infraction pénale ; on les enfermait dans des prisons, dans des colonies agricoles avec des souvenirs qui n’ont pas laissé que de bonnes traces. Il y a eu des révoltes dans des colonies agricoles avec des adolescents qui se rebellaient contre l’encadrement pénitentiaire. En 1945, on rompt avec cela et on crée l’Education Surveillée qui devient en 1992 la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) prenant une terminologie un peu plus contemporaine.


Les acteurs de la PJJ dans les territoires

La PJJ a une direction centrale au sein du ministère de la Justice et 9 directions interrégionales qui correspondent à un découpage géographique du territoire. Dans ces 9 directions interrégionales, il y a 54 directions territoriales qui sont pour certaines d’entre elles monodépartementales : par exemple la direction territoriale de la Seine Saint Denis correspond au seul département de la Seine Saint Denis alors qu’une direction territoriale dans l’Est regroupe la Haute Saône, le Doubs, les Vosges, le Jura car la question de l’éducation des jeunes dans ces territoires est beaucoup plus modeste que dans des départements urbains.

Il y a des directeurs territoriaux de la PJJ qui sont d’anciens éducateurs et qui, en ayant passé des examens professionnels, sont devenus directeurs territoriaux. Mais ce sera de moins en moins le cas ; de plus en plus, la hiérarchie de la PJJ sera composée d’administrateurs, dans le sens non péjoratif mais étymologique du terme, de gens qui sortent d’un institut régional d’administration, très exceptionnellement de l’ENA (il semblerait que le Président de la République souhaite que les sortants de l’institut qui va remplacer l’ENA aillent d’abord sur le terrain et pas dans les grands corps de l’État …).

En réalité, les bénévoles de SEUIL n’ont pas affaire sur le terrain à cette strate-là. Les personnes à rencontrer, ce sont les directeurs du STEMO ou les éducateurs.


STEMO : Services Territoriaux Educatifs de Milieu Ouvert



La PJJ et le citoyen

Je me réfère à ce que Paul, directeur des marches SEUIL dit : « je rêve que les accompagnants soient des éducateurs mais qu’ils ne soient pas trop éducateurs. » Je pense qu’il faut effectivement qu’il y ait une rencontre entre des professionnels et des personnes comme les bénévoles de SEUIL, qui sont issues de la société civile. Si actuellement, il y a des incompréhensions entre nos compatriotes et un certain nombre de professionnels sur les questions de prise en charge de personnes, mineures ou majeures, qui commettent des délits et hélas aussi des crimes, c’est parce que cette rencontre ne se fait pas. Il faut qu’il y ait le plus possible d’associations citoyennes comme SEUIL.

Je pense qu’un agent public, même s’il est éducateur, est « handicapé » s’il n’y a pas une rencontre avec les gens de la société civile, avec des gens qui ne sont pas professionnels. Dans mon esprit, la principale qualité des gens de SEUIL, c’est d’être des personnes ordinaires de la vie, parce que dans la plupart des cas ces adolescents vivent dans une famille monoparentale et n’ont à faire souvent qu’à leur mère. La plupart des 100.000 mineurs qui sont pris en charge par la PJJ sont éduqués par des femmes, par des mères ; les pères sont partis, ils sont en prison, ou sont errants, ou ils ont fait leur vie ailleurs, et ne sont pas dans une relation d’amour et de liens avec leurs enfants, avec leurs fils. Parce qu’il faut être précis : l’histoire de la PJJ est une relation triangulaire entre un éducateur, une femme qui est mère d’adolescent en difficulté et des garçons. Il y a quelques filles suivies par la PJJ mais elles sont peu nombreuses et encore moins en prison : sur 100 personnes détenues, il y a seulement 4 femmes. C’est pareil pour les mineurs. Il y a très peu de filles dans les 48 quartiers pour mineurs des maisons d’arrêt et dans les 6 établissements pénitentiaires spécialisés.

Cette rencontre entre un professionnel et les bénévoles de SEUIL, ou les accompagnants des marches, produit des choses intéressantes. J’ai eu la chance de diriger la PJJ il y a quelques années. Partout où la prise en charge des enfants et des adolescents donnait des choses intéressantes, c’est quand cette rencontre avait lieu. Et même quand on a l’impression qu’il y a des échecs : quand on n’est pas un professionnel de l’éducation, il faut entendre que l’échec, l’incident, est un objet du travail éducatif. Par exemple, quand un jeune fugue d’un établissement de placement, ou encore plus d’un centre éducatif fermé .

Il ne faut surtout pas s’imaginer que, parce qu’une marche s’interrompt ou parce qu’il y a un incident pendant la marche, c’est perdu, ça n’a servi à rien. Bien sûr que si ! Les professionnels de l’éducation le savent, tout incident est outil de travail avec un jeune. Quand il fugue, la fugue a un terme. Il y a un moment où le jeune revient, soit de lui-même, soit parce qu’il est ramené dans le centre éducatif ou dans le lieu de placement. Ça va être travaillé avec le jeune, souvent pas sur le moment mais après. Ou si pendant les marches. il transgresse telle ou telle règle, par son comportement ou en détenant tel ou tel objet, ça devient un objet de travail. Ce qu’il ne faudrait surtout pas, c’est que l’incident ou ce qui apparait a priori comme un échec, ne devienne pas un objet de parole et encore plus de travail. Il n’y a rien de pire qu’un incident que vous laissez passer. Sinon, le lendemain, ce sera un peu plus, et ainsi de suite. Il faut aller au contact avec eux, même si c’est plus facile à dire qu’à faire !

Les jeunes transgressent. Eh bien, c’est la vie ! Le problème, c’est que dans leur vie, les adolescents ne sont pas repris dans ces transgressions-là puisque la personne la mieux placée pour le faire, le père, n’est pas là. C’est la mère qui est là, d’abord économiquement, pour faire tourner la cellule familiale, et en plus elle doit être père et mère en même temps. C’est évidemment difficile ! J’insiste beaucoup là-dessus car ce sont des choses qui ne sont pas assez travaillées dans la société civile actuellement. Les 100.000 jeunes qui sont suivis par la PJJ sont des jeunes éduqués par des femmes, des mères ; les hommes ne sont pas là. Donc, il faut que SEUIL, quelque part, soit le père si c’est possible. Ça peut se jouer pendant les marches.


La question de la détention

Mon itinéraire professionnel, d’abord éducateur de la PJJ dans un foyer puis un STEMO, puis directeur de service pénitentiaire, m’a permis de voir les deux côtés de la barrière.

Comme Bernard Ollivier, je pense qu’il n’y a pas de prison éducative : je l’ai vérifié, hélas. En revanche, je pense qu’en prison, il y a un espace éducatif.

Les adolescents sont détenus parce qu’il faut bien qu’à un moment le juge des enfants marque un coup d’arrêt, parce que la plupart d’entre eux se mettent en danger. Ils peuvent aussi mettre une partie d’entre nous en danger lorsqu’ils dégradent un véhicule, lorsqu’ils cambriolent une habitation, lorsqu’ils volent dans un magasin, mais souvent, il y a une escalade dans leur passage à l’acte et à un moment, ils se mettent en danger. Alors, il faut que la loi marque un coup d’arrêt. Et ce n’est pas pour rien que ces maisons s’appellent des maisons d’arrêt. La privation de liberté va être une manière d’arrêter leur mise en danger, malgré eux et contre leur gré. A un moment, il va falloir les éduquer sous contrainte. Alors, je pense qu’il y a un espace éducatif : on peut enclencher de la parole avec eux, on peut se projeter, à condition qu’il y ait des associations comme SEUIL et d’autres intervenants.

Et surtout j’y vois 4 conditions. Si elles ne sont pas remplies, non seulement la prison n’est pas éducative mais il n’y a pas d’espace éducatif.

La 1ère condition n’est pas négociable, il faut être intransigeant là-dessus : dans un établissement pénitentiaire, là où un être humain est privé de liberté, qu’il soit majeur ou mineur, on doit absolument respecter son intégrité physique et psychique.

En 1978, comme j’ai pu le voir dans une de mes premières visites en prison, quand un gamin était détenu dans une prison pour mineurs, on considérait qu’une claque, après tout, c’était possible, ça lui faisait du bien. Je pense absolument l’inverse. Aujourd’hui, ça arrive encore mais c’est exceptionnel et lorsque ça se passe, l’agent, le fonctionnaire, a des comptes à rendre à sa hiérarchie.

L’intégrité psychique, c’est par exemple de respecter la culture, les choix et les orientations par rapport aux préférences sexuelles, la religion, parce qu’il y a des jeunes en prison qui expriment leur appartenance à un culte et il faut respecter ça.

La 2ème condition : il faut que ces adolescents aient absolument accès à la connaissance. Il faut qu’ils apprennent à lire, à écrire et à compter pour que, le moment venu, le jour où ils sortiront, ils puissent être autonomes, se débrouiller avec leur intelligence et avoir du travail.

La 3ème condition : il faut absolument que l’administration pénitentiaire et la PJJ développent un travail avec leur mère, et si possible avec leur père quand on arrive à mettre la main dessus. Il ne peut pas y avoir d’espace éducatif en prison si, dans le même moment, on ne se soucie pas de rétablir du lien, de l’amour, de l’attention entre un garçon qui est détenu et sa famille, souvent sa mère.

La 4ème condition, hélas, c’est que 1/3 des 700 gamins qui sont détenus ont des troubles psychiques et parfois des maladies mentales avérées. Il faut que ces adolescents aient accès à des soins. S’ils n’ont pas d’accès aux soins en détention, je ne vois pas comment l’espace éducatif peut vivre.

Je crois à ces 4 conditions-là. Je ne vous dis pas qu’elles sont aujourd’hui à 100 % respectées. Mais le ministère de la Justice a énormément progressé depuis les vingt dernières années : dans les quartiers pour mineurs et dans les 6 établissements pénitentiaires pour mineurs, ces espaces éducatifs se développent parce que ces 4 conditions sont réunies.

C’est tout le travail des professionnels de la PJJ qui depuis 2002, interviennent dans les EPM et dans les quartiers pour mineurs, ce qui n’était pas le cas avant.


Avant 2002, un mineur qui était détenu n’avait aucun lien de vie avec les professionnels de la PJJ. Sauf au parloir quand son éducateur « référent » venait lui rendre visite. En 2002, le ministre de l’époque, Dominique Perben, pensant qu’il n’était pas possible d’incarcérer les gosses comme ça, y demanda la présence de professionnels de l’éducation surveillée. La PJJ à l’époque a refusé, toujours pour les mêmes raisons : il n’y a pas d’éducation possible derrière les barreaux, on ne peut pas éduquer un adolescent dans un tel contexte.

On m’a nommé directeur de la PJJ à l’époque parce que je croyais l’inverse. Ce qui était gravissime, c’étaient des gamins incarcérés sans professionnels de l’éducation. Les seuls auxquels ils avaient affaire était le personnel de surveillance. Même si ce personnel est composé de gens très estimables, souvent des experts en humanité et qui exercent un métier extrêmement difficile, comme on dit : « chacun son travail ». Le surveillant surveille, il est garant de l’ordre, de la sécurité, du bon déroulement de la vie dans la prison, mais ce n’est pas un éducateur. Un enfant mineur doit pouvoir entrer en relation avec un éducateur de la PJJ, et depuis 2002, c’est possible. J’assume d’avoir eu la responsabilité de la mise en œuvre de cette réforme, je pense que c’est un immense progrès.

Et je pense que le travail de SEUIL, l’intervention militante de SEUIL vient compléter le travail des professionnels,

Il y a 700 adolescents – un seuil qu’on n’arrive pas à abaisser - qui sont détenus en permanence et en flux annuel : 3.250. Si j’ai rejoint il y a 8 ans SEUIL, c’est parce que je pense que l’intervention de SEUIL doit prioritairement être tournée vers ces adolescents garçons qui sont privés de liberté car il y a un espace psychique possible dans la marche. J’y crois profondément.


La réforme du code de la justice des mineurs

En 1945. 2 ordonnances fondamentales sont signées par le Général de Gaulle :

  • La fameuse ordonnance du 2 février 1945 qui dit comment on doit travailler avec des adolescents qui commettent des infractions pénales. L’enfant doit avoir affaire à un juge spécialisé, le juge des enfants, à une procédure spécialisée et on doit privilégier à son égard le prononcé de mesures éducatives plutôt que des peines.

  • L’ordonnance du 1er septembre 1945 qui crée l’éducation surveillée.

Cette ordonnance a été modifiée 39 fois. Elle a été martyrisée, tirée dans tous les sens. En caricaturant, quand il y a une alternance de gauche, on desserre : priorité à l’éducation, ces gamins sont le produit de la misère, leurs parents sont au chômage, ce n’est pas de leur faute s’ils deviennent délinquants… Quand c’est l’alternance à droite : il faudrait un peu plus de fermeté, et dans ces foyers, ils sortent comme ils veulent…

L’ordonnance avait une cinquantaine d’articles. Vous étiez à l’article 3, vous descendiez à l’article 12 qui disait l’inverse du 3. Le Conseil d’Etat avait noté toutes les contradictions. La réécriture du texte a commencé il y a dix ans, quand j’étais directeur de la PJJ et Christiane Taubira, ministre. Dix ans après, ce texte arrive : l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est remplacée par le code de la justice des mineurs.

Qu’est-ce que ça change ? Le juge des enfants existe toujours, dieu merci. L’excuse atténuante de minorité aussi, qui dit que les peines prononcées à l’égard des mineurs doivent toujours être moitié moins importantes que celles prononcées à l’égard des majeurs.

La chose importante qui change et qui clive, qui a ses partisans et ses opposants, est la chose suivante.

Sous le règne de l’ordonnance du 2 février 1945, on mettait l’enfant auteur d’un délit en examen, le juge des enfants disait : « Je te mets en examen et tu seras convoqué par le tribunal des enfants pour être jugé sur le fond. En attendant, je te confie à un éducateur de la PJJ, à un STEMO, et on se reverra plus tard. » Il n’y avait pas de borne calendaire. Le gamin était convoqué par le tribunal des enfants, 15 mois, 18 mois après, parfois il était majeur. On parlait de troubles psychiques tout à l’heure, c’est source de grandes confusions chez un adolescent. Pour une raison très simple : c’est que plus on avance dans la vie et plus le temps passe vite.


Franchement, convoquer un adolescent et lui dire : « Jeune homme, vous comparaissez devant le tribunal pour avoir apposé des graffitis sur des wagons de la RATP il y a 18 mois. » Allez faire pédagogie… Graffitis, dégradations, c’est moche mais ce n’est pas gravissime. Lorsque ce sont des actes de violence, des choses un peu compliquées commises avec des adultes, des majeurs, c’est extrêmement compliqué de travailler le sens de ça 18 mois après. Parce que parfois l’adolescent, en toute bonne foi, l’a évacué, l’a mis de côté, et c’est absolument impossible de retravailler.

Depuis un mois et demi, avec le code de la justice pénale des mineurs, ce n’est plus possible. Le juge des enfants préside désormais 2 audiences.

La 1ère est l’audience dite de culpabilité. Une première fois, assez près des faits, le juge voit le mineur et dit s’il est coupable ou pas des faits qui lui sont reprochés. La délinquance des mineurs est caractérisée par une grande simplicité ("simplicité" ne veut pas dire « absence de gravité »). La plupart du temps, les faits ne nécessitent pas des enquêtes très longues avec l’intervention d’officiers de police judiciaire. Ce sont toujours les mêmes types de faits : dégradation de bien public ou privé, tentative de cambriolage, vol dans des magasins… Et de temps en temps hélas des agressions contre les personnes sur la voie publique, parce qu’il y en a, évidemment. Ce sont des faits assez simples à élucider. Donc 1ère audience : le juge reconnait ou non la culpabilité. Parfois il y a une relaxe : s’il n’est pas coupable, il n’y aura pas de 2ème audience.

Mais la plupart de temps, les faits sont avérés et le juge reconnait la culpabilité mais ne prononce pas de peine à la 1ère audience. Il ouvre une période de probation. Je crois que la loi dit « de probation éducative ». C’est-à-dire qu’on va se revoir dans 6 ou 9 mois et pendant cette période, l’adolescent doit faire ses preuves. Il est confié au STEMO, à un éducateur. 9 mois plus tard, le juge verra s’il prononce un travail d’intérêt général, une peine de prison avec sursis, une mesure de réparation, ou simplement un avertissement judiciaire (comme c’est souvent le cas), etc.


Le 1er avantage est donc que le temps est réduit, qu’il est beaucoup plus en adéquation avec le psychisme d’un adolescent.


Le 2ème avantage est qu’on prend en compte l’intérêt des victimes. Les associations de victimes disaient : « Ces gamins ont tous les droits, ils dégradent les biens, ils volent et parce qu’ils sont mineurs, les victimes ne sont jamais indemnisées. Quand ce sont des majeurs, il y a un fonds de garantie, les indemnités sont versées. Quand ce sont des gamins, ils ont tous les droits. » Maintenant ce n’est plus possible car le juge des enfants prend en compte la situation de la personne victime à l’audience. C’est normal et ce n’est pas antinomique avec l’intérêt éducatif de l’enfant. L’avantage de cette réforme législative majeure, c’est qu’on donne acte à la victime qu’elle a été victime. On pourra l’indemniser. Si vous attendiez, comme avant, l’audience de jugement 15 mois, 18 mois après, dans quel état est la personne victime, avec quelle rancœur, quelle insatisfaction ?

C’est la réforme majeure. Le reste est inchangé : il y a toujours le juge des enfants, la même échelle des peines.

Selon moi, cette réforme qui a raccourci le temps est bonne. Tout le monde ne pense pas comme moi. Il y en a qui disent que c’est la précipitation. Je ne crois pas. Je pense qu’en 6 mois, en 9 mois, on peut amorcer un travail avec un enfant. Je tiens à ce terme « enfant ». Les hommes politiques parlent de « majeur » et « mineur ». C’est le terme juridique. Mais je vous assure que, même s’ils ont des enveloppes corporelles qui en font de grands gaillards, psychiquement, pour la plupart d’entre eux, ce sont des enfants.

C’est bien que le magistrat soit resté le « juge des enfants ». Il ne faut pas oublier que ce sont des personnes en devenir.

Alors, des éducateurs de la PJJ disent qu’il faut du temps avec les gamins. C’est bien d’aller plus vite mais il faut qu’on soit plus nombreux. Les juges des enfants disent la même chose : s’il faut qu’on juge plus vite, il faut qu’on nous retire des dossiers. Là-dessus, ils ont absolument raison. Si on veut que la justice des mineurs aille plus vite, que l’espace entre les audiences ait du sens, il faut aussi qu’il y ait plus de professionnels, plus d’éducateurs et plus de magistrats de la jeunesse. On peut modifier la loi mais il faut mettre les moyens qui vont avec.


Je crois aussi beaucoup aux mesures de réparation. C’est concret. Avec un adolescent pour des infractions pénales qui ne sont pas très graves.

Pour un adolescent qui a des difficultés à écrire, qui est fâché avec l’école, rédiger une lettre d’excuse d’une page avec l’aide d’un professionnel, ce n’est pas rien. Je crois beaucoup à ces choses-là et si ces choses-là peuvent être parlées pendant une marche… Imaginez l’accompagnant qui rédige une lettre avec l’adolescent…

Marcher avec SEUIL ouvre un espace psychique qui permet ce travail, c’est excellent. Le problème, c’est qu’il n’y a pas assez de SEUIL.


Le bon échelon de contact pour les correspondants

Le bon échelon pour un correspondant régional, c’est le STEMO, voire la direction territoriale.

Depuis un an, et c’est unique en France, le directeur régional de la PJJ dans cette région est un magistrat, M. Couret, qui a été juge des enfants pendant une quinzaine d’années. Dans notre pays, la fonction publique est encore très cloisonnée : on est ou administrateur, ou magistrat, ou autre chose, mais il y a encore très peu de circulation entre ces strates. Traditionnellement, les 9 directeurs interrégionaux de la PJJ sont pour une petite partie d’entre eux d’anciens éducateurs, et pour la plupart des gens qui ont fait des études de droit, qui sortent d’un institut régional d’administration ou qui ont été directeurs de service à la PJJ. Depuis l’année dernière en Sud-Ouest, c’est un ancien juge des enfants, ce qui était juridiquement possible mais ne s’était produit qu’une seule fois avec la nomination de Florence d’Andréa dans l’inter région Sud de la PJJ (siège à Toulouse)

Pourquoi c’est important ? Parce que c’est une excellente chose que quelqu’un qui a une expérience comme lui de la justice des mineurs, pilote la PJJ dans une inter-région.


Partout ailleurs, il faut que vous entreteniez des bonnes relations avec le STEMO. N’allez pas voir le directeur interrégional, son rôle est essentiellement de gérer des crédits, les moyens octroyés aux structures, de permettre le recrutement d’éducateurs contractuels. C’est lui le responsable en inter région des moyens budgétaires et humains. Il ne s’occupe pas principalement des politiques éducatives, ou en dernier ressort. En revanche, avoir un contact une fois par an avec l’équipe du STEMO, c’est bien. Donnez un coup de fil au STEMO, à l’éducateur que vous connaissez, voire au directeur en demandant à rencontrer l’éducative. Je doute qu’il y ait des gens qui vous le refusent. Ça ne peut que renforcer les liens dans l’intérêt des publics, des adolescents. Il faut se connaître pour travailler ensemble.

Et puis peut-être plus difficile, avec le service éducatif, si vous y arrivez car c’est un peu compliqué de rentrer en prison, l’institution n’est pas toujours accueillante même si elle a énormément progressé en 20 ans. Mais si SEUIL est implanté dans un territoire où il y a l’un de ces 6 EPM (établissement pénitentiaire pour mineurs), si vous arrivez à entrer en relation avec le service éducatif, c’est bien d’y aller. Il y a les quartiers de mineurs dans les 48 maisons d’arrêt, si vous pouvez, c’est bien aussi qu’ils vous connaissent.

Une bonne idée est de voir avec les visiteurs de prison qui peuvent servir d’intermédiaires, étant familiarisés avec l’établissement pénitentiaire.


Priorité à la PJJ

J’ai travaillé tantôt en milieu ouvert, tantôt en prison. Ce n’est pas parce que j’ai dirigé quatre fois une prison que je suis un fervent défenseur du milieu pénitentiaire. Je dis qu’aucune démocratie ne peut se passer de prison. Là où il n’y a pas de prison, il y a des camps, des goulags, et des lieux où les droits de l’Homme ne sont pas respectés. Je préfère une mauvaise prison à un bon camp. Une fois qu’on a dit ça, ça n’enlève rien au fait qu’on peut considérer que la place d’un enfant n’est pas en prison.

Pourquoi je dis que SEUIL a d’abord à voir avec la PJJ ? Quand Bernard Ollivier a fondé SEUIL il y a 20 ans, son idée était de proposer une alternative qui permette d’éduquer un jeune en liberté, c’est quand même mieux. J’ai dirigé 4 prisons dans ma vie, et je tiens à tout prix à ce que dans ce pays on ait des prisons républicaines, respectueuses des droits de l’Homme mais ça ne m’empêche pas de dire qu’il faut que ces gamins sortent de prison. Je pense que SEUIL doit principalement être tourné vers une prise en charge éducative qui interrompt la détention.

Il y a 100.000 mineurs qui sont pris en charge par la PJJ et 3 fois plus par les services de l’aide sociale à l’enfance. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’occuper des gamins qui sont suivis par l’Aide Sociale à l’Enfance. C’est bien que SEUIL propose aussi des marches à des enfants qui sont suivis par un travailleur social de l’ASE car s’ils sont suivis par l’ASE, c’est qu’ils sont en danger. Mais je trouve que la priorité est d’abord d’interrompre la détention des gamins qui sont détenus.

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