Comment la marche a changé la vie de L*
- ceciliathomas4
- 25 sept.
- 6 min de lecture
Bonjour, je m'appelle L*, j'ai 18 ans et je vais te raconter mon histoire.
Avant la marche, je me sentais vide, très triste. C’était indescriptible.
J’étais triste, perdue, en colère.
J’habitais à Rinxent dans le Pas de Calais, chez ma mère.
J’avais 17 ans.
Ma mère me voulait du mal, elle déversait sa colère sur moi.
J’étais suivie par mon éduc ASE à cause des signalements sociaux que j’avais fait plusieurs fois. Elle m’a sauvé la vie. C’est elle qui m’a parlé de Seuil, j’ai tout de suite réagi : “Vous m’avez vu moi ?” Marcher sur Saint-Jacques-de-Compostelle ? Moi, avec mes 100 kilos, ma force mentale de mouche ? Vous avez vu la Vierge ?” Elle me l’a répété une dizaine de fois pendant 2 mois.
Ce qui m’a fait changer d’avis, c’était un soir où j’allais faire du mal à ma maman… et à moi. Puis, j’ai eu un éclat de lucidité, je me suis dit : “Mais pourquoi ? Quel est le but de tout ça ? Ça ne sert à rien, tu vas ruiner ta vie, tu n’as que 17 ans.”
C’est trop facile de terminer sa vie comme ça alors que le ciel peut nous rendre justice, il peut me rendre justice, un jour. Quelque chose de supérieur m’a empêché. J’ai repris mes moyens pour ne pas commettre d'irréparables. Le lendemain, après cette nuit de désespoir, j’ai dit à mon éducatrices “Bon bah je vais la faire cette marche. C'est mon seul choix pour m’en sortir. Dans 2 ans, je serai tox ou alcoolique, dans 2 ans je vais tomber dans les vices de ma mère.”
Quelques jours avant le départ, je me sentais déjà libre. J’avais l’impression d’être déjà libérée, comme si un prisonnier attendait la sortie de sa prison.
Je n’ai pas dit au revoir à mes frères et sœurs… j’ai dit Adieu.
Je savais déjà que je n’allais pas revenir.
Je suis partie le 24 septembre 2024. Sur le chemin, j’avais beaucoup d’appréhension. Je disais toujours “dans une semaine tu t’arrêtes”.
J’en avais marre, j’arrivais pas à passer au dessus de ma souffrance.
Mais tout le monde nous disait “ce que vous faites c’est trop beau, tu ne peux pas rentrer chez toi, il faut continuer pour s’en sortir” alors je me disais “On va continuer alors…" et mon cerveau a marché malgré la douleur.
Tout ça grâce à Manon et les pèlerins, ces gens exceptionnels.

Un bisou de Manon à L*
On dit souvent : “Tomber amoureuse de son bourreau” : La violence de ma mère me manquait. Je voulais retourner chez moi car c’était ça mon habitude.
Avant, on me tendait des mains, je ne les ai jamais prises avant la marche. Pendant la marche j’étais tellement fragile que j’ai compris que je n’avais pas d’autre choix.
Au début, j’avais encore besoin de me faire du mal.
Et puis physiquement aussi j’avais mal. J’avais les cuisses qui frottent, j’avais mal aux cervicales, j’avais des ongles incarnés aux pieds. J’allais voir des podologues tout le chemin.
Tout était dur. Du début jusqu’à la fin de la marche, j’ai souffert.
Les pas discrets d’une courageuse, en plein automne
Au début j’avais l’espoir de rentrer et ensuite c’est devenu une crainte. 2 semaines avant l’arrivée à Saint-Jean-Pied-de-Port, j’ai appelé Yvon. J’avais peur de devoir rentrer chez moi. Je lui ai demandé si je pouvais ne pas rentrer. Rester avec Seuil. Il m’a parlé de la famille en Ardèche. En Espagne, ça s’est concrétisé. On s’est démené pour que j’arrive chez Aude et Antoine après ma marche, dans une petite ferme, dans la nature. J’attendais que ça.
Mon objectif c’était de finir l’Espagne pour pouvoir aller chez Aude et Antoine : Yvon me disait “Si tu veux la famille d’accueil, tu marches.”
J’ai encore cette vidéo où même après 42 km de marche dans la journée je cours sur la place de Santiago pour arriver. On avait marché de 9 à 19h, on avait marché vite et il faisait déjà nuit.
Je te jure, si tu m’avais dit un jour que je pouvais faire 42 km en un jour avec un sac de 12 km - parce que, moi, je n’avais pas coupé la tête de ma brosse à dent - je t’aurais dit : jamais t’es folle.
Et c’était incroyable. Quand tu es sur le chemin, tu as le chemin et toi. Et c’est tout. Rien d’autre.
Arrivée à Santiago, mentalement j’étais libre. Libre de toutes ces pensées malsaines.
Arrivée de L* et Manon le 13 décembre 2024
Le lendemain, je pars à Montélimar, je rencontre ma famille d’accueil. J’étais hyper contente de ne pas rentrer chez moi, d’aller dans la cambrousse avec plein d’animaux et j’étais curieuse de découvrir une famille avec des relations saines.
Ce qui m’a choqué c’était que quand ils sont énervés, ils ne frappent pas leurs enfants. Moi, je croyais que la violence, c’était normal. Je ne comprenais pas pourquoi ils ne frappaient pas.
A ce moment-là, j’étais bizarre, un peu perdue, il n’y avait pas de violence. J’ai dû m'habituer. J’ai fini par prendre mes marques, au bout de 4 mois.
J’ai eu du mal avec les enfants... je n'étais pas très à l’aise. Ils avaient 5, 7, 12 et 14 ans. Je ne les connaissais pas et ils testaient un peu mes limites. Mais les parents m’ont dit que les enfants testent les limites, que c'était normal. Après, j’ai pris ma place naturellement au bout de 4 mois : Clémentine me parlait de ses soucis, Andéol voulait jouer avec moi, Marin voulait que je mange ce qu’il cuisinait. Je faisais partie de leur famille.
Avec les parents, c’était différent, j’étais déjà à l’aise dès mon arrivée. Ils ont une figure parentale très douce, très gentille, à l’écoute, très compréhensive. On peut tout se dire. Aujourd'hui c’est ma deuxième vraie famille. Quand je ne suis pas avec eux, je pense à eux. Vu que là je suis appelé par le travail, j’y pense moins mais je les appelle 1 fois par semaine. Eux se disent aussi “pas de nouvelles, bonne nouvelle”. Naturellement j’ai envie d’avoir des nouvelles. En étant là et en étant vivants, ils m’ont empêché de revenir dans un environnement toxique, je leur dois beaucoup.
L* chez Aude et Antoine, entre nature, animaux et enfants
Je t’ai dit que j’avais un travail… Au début, penser au futur m’angoissait. Yvon m’a parlé de l’Arche, une association qui accompagne des personnes en situation de handicap. Aude et Antoine m’en ont parlé, mais je ne me sentais pas capable. Encore une fois je me suis dit : “moi ? Encadrer des personnes en situation fragile, de handicap mental ? Moi qui suis déjà fragile de base mentalement ?”.
J’ai appelé une amie d’Aude qui y a travaillé. J’ai compris que j’allais en ressortir grandie et mature. J’ai planifié une semaine à l’Arche pour tester, le 1er juillet. J’avais finalement hâte. Je ne sais pas du tout comment j’ai basculé vers cet état d’excitation, mais finalement, j’avais envie d’y aller, de travailler avec eux.
En juillet, j’étais accueillie à bras ouvert, comme si on se connaissait depuis toujours, comme si j’étais à l’Arche depuis toujours. Ils ont tous pleuré quand je suis partie. Il m’ont tous appelé beaucoup de fois pour savoir quand je revenais.
C’est étrange de savoir que tu as une relation presque fusionnelle avec des gens que je connaissais pas il y a encore peu. Cela m’a appris que chacun à ses différences. Que ces gens étaient comme nous, avec les mêmes sentiments.
J’ai commencé mon contrat en service civique le 25 août. En 3 semaines, J’ai découvert la patience, la pédagogie, j’ai appris à poser mes limites, chose que je ne savais pas faire.
J’ai appris à être douce, ce qui n’était pas à mon image, moi qui était un peu trop sans filtre. Maintenant j’arrive à me contrôler, à contrôler ma colère aussi. Le futur pour moi c’est un CDI à l’arche à partir du 25 août 2026 en tant que référente de personne accompagnée, à Clermont. La ville ne me plait pas tant car il y a beaucoup de travaux et d’agitation mais je veux rester avec les 3 maisonnées de l’Arche.

Maisonnée de L'Arche de Clermont-Ferrand.
Aujourd’hui, j’ai 18 ans.
Je ne suis plus placée chez Aude et Antoine depuis mon anniversaire le 21 août. Mais avec le contrat jeune majeur, j’espère pouvoir faire 6 mois de plus chez eux pour pouvoir rentrer le weekend quand j’en ai envie.
Et être là où je me sens chez moi.
Commentaires